L’ouvrage s’ouvre sur la description d’un climat étouffant qui règne sur un petit village d’Espagne isolé. Alors que les hommes du village se sont lancés à sa recherche, un petit garçon d’une douzaine d’années est blotti dans une cavité qui lui sert de cachette, à quelques mètres d’eux. Terrifié mais résolu à mener sa fugue jusqu’au bout, il ne leur répond pas et tente de se conforter dans sa décision en se remémorant les violences infligées par son père, ainsi que l’épouvantable « alguazil » (terme désignant autrefois un fonctionnaire de justice et de police). Ce dernier semble constituer un souvenir particulièrement traumatisant pour l’enfant qui ne peut s’en rappeler autrement qu’en lui attribuant un visage rouge aux traits démoniaques. 

C’est avec l’esprit tourmenté par de telles images et l’équipe de l’alguazil à ses trousses que le jeune protagoniste laisse tout derrière lui pour s’enfoncer dans une plaine menant vers le nord qui s’étend à perte de vue. Pourtant, alors qu’il cherchait à fuir la violence des hommes qui l’entourent, le garçon se retrouve face à une nature impitoyable, un désert gouverné par une chaleur et une sécheresse dont il ne se doutait guère. Assoiffé et affamé, il fait néanmoins la rencontre heureuse d’un vieux berger solitaire et taciturne dont le maigre troupeau de chèvres peine à paître dans l’interminable désert. Le brave homme, sans montrer beaucoup d’émotion, lui inculquera autant de connaissances pastorales que de valeurs morales. 

Adaptation issue de la collaboration entre l’auteur du roman et l’illustrateur Javi Rey – déjà connu pour sa contribution à « Un maillot pour l’Algérie » – ce volume de 140 pages nous offre une expérience de lecture unique tant sur le plan du scénario que celui du graphisme. La palette de couleurs pâles de Rey, allant des tons bleus aux rouges, matérialise remarquablement l’univers infernal de Carrasco. En effet, le lecteur se surprend presque à percevoir des flots de chaleur s’échappant des pages. La cruauté de l’histoire se lit sur les expressions crispées et la bouche horrifiée du garçon qui semblent vouloir transpercer les pages pour vous hanter. Il faut dire que le pinceau de Rey parvient véritablement à donner vie aux personnages dont on sentirait presque le cœur battre tant leur peur est palpable. Enfin, ce récit, scandé par ses dialogues parcimonieux et ses scènes parfois violentes, vous propose un voyage dans l’apprentissage de la confiance, de la complicité et du courage.