La Liberté

Les champs lexicaux, terre fertile aux discriminations

Lara Gut, bien plus qu'un simple sourire. © Keystone
Lara Gut, bien plus qu'un simple sourire. © Keystone

Patrick Biolley

Publié le 08.03.2017

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Inégalités. » Chronique

 «Sa position avant de servir met en valeur ses formes, qui, mine de rien, sont plutôt agréables à regarder.» «Lors du smash gagnant long de ligne, son maillot de bain a bien failli se faire la malle, ce qui n’aurait pas déplu au public.» «Son sourire éclatant a conquis les spectateurs présents dans l’aire d’arrivée.»

Toutes ces citations ne sont pas sorties de mon esprit tordu, mais bien de commentaires entendus à la télévision ou lu dans la presse de ces trois derniers mois. Sans que les sujets des phrases ne soient soumis à un quelconque genre, je suis certain que chacun aura pensé qu’il se rapportait à une sportive plutôt qu’à un sportif. Et vous avez raison! La première se réfère à Garbine Muguruza, gagnante de Roland-Garros 2016, la deuxième à Chantal Laboureur, beachvolleyeuse allemande, récente troisième d’un tournoi world tour et la troisième à Lara Gut, médaillée olympique et vainqueur du globe de cristal de la Coupe du monde.

Jamais ces formulations n’auraient pu être écrites pour Rafael Nadal, Nicholas Lucena ou Marcel Hirscher. En effet, il persiste cette obsession, en sport du moins, que tout ce qui se rapporte au physique est forcément féminin alors que ce qui tient de la performance aura forcément un sujet masculin. Et les palmarès des femmes cités ci-dessus ne sont de loin pas vierges, au contraire.

La fragilité de Lara Gut

Imaginez deux secondes une femme journaliste qui relaterait les muscles saillants des sprinters, lutteurs ou autres footballeurs. Son papier ne serait pas pris au sérieux, car seule la performance compte. Mais on nous a rabâché le regard et le sourire de Lara Gut durant tout l’hiver sans que cela ne fasse sourciller quiconque en salle de presse ni dans les rédactions. Du moins jusqu’à sa blessure le 10 février dernier. Depuis, le champ lexical de la fragilité a repris le dessus.

Alors que cela fait 36 ans que l’égalité entre les sexes est inscrite dans la Constitution suisse, dans les faits ce n’est pas le cas, il suffit de voir les écarts salariaux persistants. Et nous, journalistes, avons encore beaucoup de travail à faire de ce côté-là aussi. A vous, lecteurs, de repérer aussi ces discriminations. Ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes est l’occasion de le rappeler. Que ce soit dans le monde du travail ou dans les représentations médiatiques, les femmes ont le droit au même traitement que leurs collègues masculins.

Nos journaux, radios ou télévisions auront fait un grand pas en avant lorsque les adjectifs définissant les sportives se rapporteront à leurs performances et non plus à leur physique. Lorsque les meilleures joueuses d’une équipe seront jugées sur leurs prestations et non selon les standards de beauté. Lorsque l’on parlera de Serena Williams pour ses titres et non pour ses rondeurs. Lorsque l’on reconnaîtra que le beachvolley est un sport et non pas un défilé de maillot de bain. Lorsque les adjectifs qualitatifs ne serviront plus à décrire une personne. Changeons nos champs lexicaux pour, qu’à notre échelle, le monde puisse changer.

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