La Liberté

A la tête d’une rédaction désertée

Après 40 jours, la grève se termine au Journal du dimanche (JDD). Geoffroy Lejeune prend la direction

Publié le 02.08.2023

Temps de lecture estimé : 5 minutes

France » «Nous n’avons pas gagné»: la rédaction du JDD a acté hier l’échec de sa grève historique entamée le 22 juin contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune, journaliste marqué à l’extrême droite, qui vient de prendre la tête de l’hebdomadaire.

«Aujourd’hui, Geoffroy Lejeune prend ses fonctions. C’est dans une rédaction vide qu’il entrera. Des dizaines de journalistes refusent de travailler avec lui et devraient quitter le JDD», a annoncé la Société des journalistes (SDJ) du Journal du dimanche, dans un communiqué au ton amer.

Après 40 jours de mouvement, les grévistes ont fini par conclure un accord avec la direction du groupe Lagardère, propriétaire du titre. Il prévoit «une reprise de l’activité avec un retour de la publication du site web leJDD.fr» dès mardi, «et de la publication du journal» papier dès mi-août, a précisé Lagardère dans un communiqué distinct.

L’accord définit «également la mise en place de conditions d’accompagnement pour les journalistes qui souhaiteraient quitter la rédaction», selon Lagardère.

Soutien d’Eric Zemmour

«Malgré l’unité et la détermination de la rédaction», «de nombreuses tribunes» dont une signée «par plus de 650 personnalités de tous bords», «le dépôt de plusieurs propositions de loi au Parlement» ou l’annonce d’Etats généraux de l’information par l’Elysée, «notre PDG, Arnaud Lagardère, est resté sourd à nos revendications, dans un contexte de reprise en main du groupe par Vivendi», déplore la rédaction.

Celle-ci refusait depuis le 22 juin d’être dirigée par Geoffroy Lejeune, «dont les valeurs sont en totale contradiction avec celles du JDD».

Soutien d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle, Geoffroy Lejeune, 34 ans, a suscité plusieurs polémiques, notamment lorsque l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, alors sous sa direction, a été condamné à une amende de 1000 euros avec sursis pour injure publique à caractère raciste envers la députée LFI Danièle Obono.

Les grévistes demandaient aussi à Lagardère d’«offrir aux journalistes des garanties d’indépendance juridique et éditoriale» au travers d’une charte de déontologie.

«Mais devant l’intransigeance de la direction, nous avons finalement préféré renoncer à de maigres avancées plutôt que de signer un document contraire à nos valeurs», précise la rédaction dans son communiqué.

D’autant qu’en «l’absence d’un comité d’indépendance éditoriale» composé de personnalités extérieures, «cette charte n’aurait pas offert aux rédactions de réels garde-fous face à la direction du groupe et aux actionnaires», ajoute-t-elle.

«Partir ou rester»?

Même si Arnaud Lagardère, le patron du groupe, s’en défend, nombre d’observateurs voient dans cette nomination la main du milliardaire Vincent Bolloré, aux opinions réputées ultra-conservatrices.

Vivendi, groupe de M. Bolloré détenant Canal+ et ses chaînes (dont CNews et C8), est en effet en train d’absorber Lagardère, propriétaire du JDD, de Paris Match et d’Europe 1, après une offre publique d’achat réussie.

Les grèves précédentes menées contre les ingérences supposées de l’homme d’affaires à i-Télé (devenue CNews) en 2016 et Europe 1 en 2021 se sont soldées par des départs massifs.

Depuis fin juin, la répétition d’un tel scénario au JDD suscitait de vives inquiétudes parmi les journalistes et une partie des personnalités politiques.

«Geoffroy Lejeune est suffisamment habile pour ne pas faire tout de suite du JDD le futur «National Hebdo» mais il reste 4 ans avant 2027 à une équipe idéologiquement combative», a estimé hier la journaliste Anne Sinclair dans les colonnes de Libération.

«On ne peut pas considérer la presse comme un pilier de la démocratie si elle-même n’a pas un fonctionnement démocratique», a commenté la patronne de la CFDT, Marylise Léon, également dans le quotidien de gauche.

«Bataille perdue»

«Aujourd’hui, nous avons perdu une bataille, mais notre lutte ne s’éteint pas», assurent les anciens journalistes grévistes, qui désormais se trouvent confrontés à un «dilemme douloureux: partir ou rester».

«Notre rédaction disparaît, mais un collectif puissant s’est formé. Il restera vivant au sein d’une association qui verra le jour dans les prochaines semaines», poursuivent-ils.

Son objectif: «défendre auprès des pouvoirs publics la nécessité d’une évolution du cadre législatif encadrant la presse» pour «garantir l’indépendance des rédactions et la protection des journalistes». ATS/AFP

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11